mercredi 18 décembre 2013

Le compte personnel de formation devra faire ses preuves


Des formations qualifiantes
utiles à l'économie
En veille permanente sur tous les sujets concernant l’orientation et l’évolution professionnelle tout au long de la vie, j’ai suivi comme tout un chacun les péripéties de l'ANI (accord national inter-professionnel) sur la formation professionnelle signé le 14 décembre dernier.

J’attendais beaucoup du compte personnel de formation (CPF). Opérationnel à partir du 1er janvier 2015, ce compte pourra être ouvert dès l'âge de 16 ans et suivra la personne tout au long de la vie, même si elle se retrouve au chômage ou change d'emploi (contrairement au dispositif précédent, le DIF ou droit individuel de formation, plus rigide). Le salarié bénéficie d'un nombre d'heures annuel crédité sur son compte, à hauteur de 150 h maximum sur 9 ans.
Si cet assouplissement des règles et le rallongement du nombre d’heures me paraissent plutôt positifs, je crains que ce dispositif ne soit pas beaucoup plus efficace que les précédents.

Tout d’abord, parce les entreprises en restent, directement ou indirectement les principaux bailleurs de fonds... Il ne faudra donc pas s'étonner que les personnes sans emploi continuent à rester en marge du circuit… Les chiffres sont d'ailleurs éloquents : selon l'Insee, 49% des personnes en emploi ont suivi en 2012 une formation à but professionnel, contre 27% des chômeurs ! 

Ensuite, parce qu’il me semble qu’il y a une fracture, voire un abime,  entre  les formations proposées par les pouvoirs publics et celles souhaitées par les éventuels bénéficiaires, qu'ils soient salariés ou demandeurs. Entendons-nous bien : les formations éligibles au CPF sont « obligatoirement des formations qualifiantes correspondant aux besoins de l'économie à court ou moyen terme » qui devront figurer sur des listes élaborées soit par les branches professionnelles, soit par les partenaires sociaux ayant négocié l’ANI du 14 décembre, soit par les Régions.

Ces formations sont donc orientées plus particulièrement vers ce qu’on appelle les métiers porteurs ou en tension (hôtellerie-restauration, services à la personnes, BTP, etc.) où les besoins de recrutement sont importants et mal satisfaits. Or, en face, vous avez des personnes qui envisagent souvent des formations (de façon pas toujours réaliste, il est vrai) dans des métiers plus gratifiants ou valorisants à leurs yeux ou encore qui n’ont pas forcément besoin d’un diplôme mais juste d’un logiciel , par exemple.
Ainsi, récemment, j’ai reçu Nathalie, assistante administrative, qui désire devenir journaliste, d'une part, parce qu’elle aime écrire; d'autre part, parce que des problèmes de santé l'obligeant à de fréquents arrêts de travail, elle estime que le métier de pigiste lui permettrait de travailler à domicile. Je lui fait remarquer qu’il faut avant toute chose sécuriser ses choix, valider ses compétences dans ce domaine et, le cas échéant, trouver une formation fiable. J'attire aussi son attention sur le fait que la profession de journaliste connaît de grandes difficultés et que son projet demandera certainement du temps avant d'aboutir (temps qu'elle n'a peut-être pas car ses allocations de retour à l'emploi se terminent bientôt). Nathalie me rétorque alors qu’elle a parfaitement le droit, comme tout un chacun, de réaliser son rêve. Certes, mais ne faut-il pas distinguer entre rêve et chimère ? Toutes les formations, quelles qu'elles soient et, a fortiori, quand elles sont peu pertinentes, doivent-elles être prises en charge par la collectivité ? Pas toujours simple de répondre à ces questions !

L'exemple de Nathalie n'est qu'un exemple parmi d'autres : 55% des demandeurs d'emploi auraient souhaité se former mais leur projet n'a pas abouti en raison du coût de la formation ou du manque de formation adaptée ou du lieu de formation trop éloigné ou de l'absence des prérequis nécessaires. Dernière raison mais non des moindres : tout simplement parce que leur conseiller du service public de l'emploi (Pôle emploi, mission locale, AFPA, etc.) n'a pas validé leur projet car sa propre logique le contraint à s'en tenir la réalité du marché du travail, logique qui n'a rien à voir avec le bien-être et le désir d'évolution propres à chacun.
Côté salariés, la formation n’est pas non plus un long fleuve tranquille. De fortes disparités existent selon la taille des entreprises et les catégories professionnelles : on se forme plus dans les grandes entreprises que dans les PME et plus chez les cadres que chez les ouvriers ou les salariés peu qualifiés alors que, dans un contexte de marché de l’emploi instable, ce sont pourtant eux qui ont le plus besoin d’acquérir de nouvelles compétences. La durée des formations est de plus en plus courte et leur contenu de plus en plus spécifique. Ce qui signifie que les entreprises forment leurs employés dans une logique utilitaire, prioritairement avec des formations d’adaptation au poste. Ce qui ne maintient pas, ou peu, l’employabilité des salariés.
Les obstacles, réels et nombreux (financement, appétence du salarié pour la formation, accompagnement, qualité et certification des formations, etc.), sont amplifiés par un marché des formations devenu totalement opaque pour l'entreprise comme pour les individus.

Du coup, ceux-ci ne voient pas toujours l’intérêt d’une quelconque formation professionnelle et sont même parfois réticents lorsqu'ils s'agit d'en suivre une au lieu de devenir acteurs de leur propre parcours. 79 % des personnes en emploi qui ne souhaitent pas se former estimeraient ainsi  qu’elles n’en ont pas besoin.

47% des salariés n’ont d'ailleurs jamais utilisé leur DIF ne sachant pas quelle formation suivre, souvent faute d'informations sur les formations pouvant être suivies dans ce cadre. En sera-t-il différemment avec le CPF ?

Selon moi, les risques de voir s’agrandir l’incompréhension entre  bénéficiaires de la formation et pouvoirs publics restent importants car le CPF ne semble pas proposer un juste milieu entre épanouissement personnel et besoins de l’économie... et c’est dommage !

P.S. : Sur ce sujet, consultez aussi, par exemple, le "Point de vue" du professeur Pierre CAHUC dans "Les Echos" du 24/12/2013 (très éclairant !).

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