En
veille permanente sur tous les sujets concernant l’orientation et l’évolution
professionnelle tout au long de la vie, j’ai suivi comme tout un chacun les
péripéties de l'ANI (accord national inter-professionnel) sur la
formation professionnelle signé le 14 décembre dernier.
J’attendais
beaucoup du compte personnel de formation (CPF). Opérationnel à partir du
1er janvier 2015, ce compte pourra être ouvert dès l'âge de 16 ans et suivra la
personne tout au long de la vie, même si elle se retrouve au chômage ou change
d'emploi (contrairement au dispositif précédent, le DIF ou droit individuel de formation, plus rigide). Le salarié bénéficie
d'un nombre d'heures annuel crédité sur son compte, à hauteur de 150 h
maximum sur 9 ans.
Si cet assouplissement des règles et le rallongement du nombre
d’heures me paraissent plutôt positifs, je crains que ce dispositif ne soit pas
beaucoup plus efficace que les précédents.
Tout d’abord, parce les entreprises en restent, directement ou indirectement les principaux bailleurs de fonds... Il ne faudra donc pas s'étonner que les personnes sans emploi continuent à rester en marge du circuit… Les chiffres sont d'ailleurs éloquents : selon l'Insee, 49% des personnes en emploi ont suivi en 2012 une formation à but professionnel, contre 27% des chômeurs !
Ensuite,
parce qu’il me semble qu’il y a une fracture, voire un abime, entre les formations proposées par les pouvoirs publics et celles
souhaitées par les éventuels bénéficiaires, qu'ils soient salariés ou demandeurs. Entendons-nous
bien : les formations éligibles au CPF sont « obligatoirement des
formations qualifiantes correspondant aux besoins de l'économie à court ou
moyen terme » qui devront figurer sur des listes élaborées soit par les
branches professionnelles, soit par les
partenaires sociaux ayant négocié l’ANI du 14 décembre, soit par les Régions.
Ces formations sont donc orientées plus particulièrement vers ce qu’on
appelle les métiers porteurs ou en tension (hôtellerie-restauration, services à
la personnes, BTP, etc.) où les besoins de recrutement sont importants et mal
satisfaits. Or, en face, vous avez des personnes qui envisagent souvent des
formations (de façon pas toujours réaliste, il est vrai) dans des métiers plus gratifiants ou valorisants à leurs yeux ou encore qui n’ont
pas forcément besoin d’un diplôme mais juste d’un logiciel , par exemple.
Ainsi,
récemment, j’ai reçu Nathalie, assistante administrative, qui désire devenir
journaliste, d'une part, parce qu’elle aime écrire; d'autre part, parce que des problèmes de santé l'obligeant à de fréquents arrêts de travail, elle estime que le métier de pigiste lui permettrait de travailler à domicile. Je lui fait remarquer qu’il faut
avant toute chose sécuriser ses choix, valider ses compétences dans ce domaine et, le cas échéant, trouver une formation fiable. J'attire aussi son attention sur le fait que la profession de
journaliste connaît de grandes difficultés et que son projet demandera certainement du temps avant d'aboutir (temps qu'elle n'a peut-être pas car ses allocations de retour à l'emploi se terminent bientôt). Nathalie me rétorque alors qu’elle a
parfaitement le droit, comme tout un chacun, de réaliser son rêve. Certes, mais ne faut-il
pas distinguer entre rêve et chimère ? Toutes les formations, quelles qu'elles soient et, a fortiori, quand elles sont peu pertinentes, doivent-elles être prises en charge par la collectivité ? Pas toujours simple de répondre à ces questions !
L'exemple de Nathalie n'est qu'un exemple parmi d'autres : 55% des demandeurs d'emploi auraient souhaité se former mais leur projet n'a pas abouti en raison du coût de la formation ou du manque de formation adaptée ou du lieu
de formation trop éloigné ou de l'absence des prérequis
nécessaires. Dernière raison mais non des moindres : tout simplement parce que leur conseiller du service public de l'emploi (Pôle emploi, mission locale, AFPA, etc.) n'a pas validé leur projet car sa propre logique le contraint à s'en tenir la réalité du marché du travail, logique qui n'a rien à voir avec le bien-être et le désir d'évolution propres à chacun.
Côté
salariés, la formation n’est pas non plus un long fleuve tranquille. De fortes
disparités existent selon la taille des entreprises et les catégories
professionnelles : on se forme plus dans les grandes entreprises que dans les PME et plus chez les cadres que chez les ouvriers ou les salariés peu qualifiés alors que, dans un contexte de marché de l’emploi instable, ce sont pourtant eux qui ont le plus besoin d’acquérir de nouvelles compétences. La durée des
formations est de plus en plus courte et leur contenu de plus en plus
spécifique. Ce qui signifie que les entreprises forment leurs employés
dans une logique utilitaire, prioritairement avec des formations d’adaptation
au poste. Ce qui ne maintient pas, ou peu, l’employabilité des salariés.
Les
obstacles, réels et nombreux (financement, appétence du salarié pour la formation, accompagnement, qualité et certification des
formations, etc.), sont amplifiés par un
marché des formations devenu totalement
opaque pour l'entreprise comme pour les individus.
Du coup, ceux-ci ne voient pas
toujours l’intérêt d’une quelconque formation professionnelle et sont même parfois
réticents lorsqu'ils s'agit d'en suivre une au lieu de devenir acteurs de leur propre parcours. 79 % des personnes en emploi qui ne
souhaitent pas se former estimeraient ainsi qu’elles n’en ont pas besoin.
47% des salariés n’ont d'ailleurs jamais utilisé leur DIF ne sachant pas quelle formation suivre, souvent faute
d'informations sur les formations pouvant être suivies dans ce cadre. En sera-t-il différemment avec le CPF ?
Selon moi, les risques de voir s’agrandir l’incompréhension entre bénéficiaires de la formation et pouvoirs publics restent importants car le CPF ne semble pas proposer un juste milieu entre épanouissement personnel et besoins de l’économie... et c’est dommage !
P.S. : Sur ce sujet, consultez aussi, par exemple, le "Point de vue" du professeur Pierre CAHUC dans "Les Echos" du 24/12/2013 (très éclairant !).
P.S. : Sur ce sujet, consultez aussi, par exemple, le "Point de vue" du professeur Pierre CAHUC dans "Les Echos" du 24/12/2013 (très éclairant !).
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